NFT: une bibliothèque de Babel décentralisée

SEANCE 7 : 29 mars 2022

Conférencier invité : Clément Hossaert (Université de Montréal)

Modération : Laurence Allard (Université Sorbonne Nouvelle-IRCAV et Université de Lille)

Résumé

Utilisé pour la première fois en 2014 par Kevin McCoy, il aura fallu attendre 2020, l’année de désertion des musées et de la plupart des places publiques pour que les NFT deviennent une modalité répandue de propagation et de consommation d’art en ligne. Les NFT ou Non-Fongible Tokens ont proliféré sur les plateformes de partage d’art et les réseaux sociaux, comme fers de lance d’une réjuvénation et popularisation de l’art contemporain dans des espaces virtuels, et ont défrayé la chronique pour la première fois, lors de la vente de « Everydays – The First 5000 Days » (2021) œuvre numérique de Mike Winkleman, alias Beeple, pour 69 millions de dollars.

C’est, plus précisément, le jeton de propriété de l’œuvre numérique qui a été généré et vendu. Ces jetons non-fongibles, dont la popularité et le poids économique et énergétique s’impose dans différentes sphères médiatiques, comme le jeux-vidéo, l’art contemporain, le cinéma et les réseaux sociaux, redéfinissent les modalités de consommation et de partage de l’art, et semblent proposer aux artistes qui travaillent en ligne une traçabilité de leurs création ainsi qu’un registre de l’historique de propriété d’une œuvre d’art, traçabilité qui aurait fait défaut jusqu’à présent au sein de l’espace peu légiféré d’internet.

La technologie au cœur des NFT fonctionne grâce à la blockchain, réseau qui, contrairement aux serveurs d’Amazon ou Google, n’utilise pas de banque de donnée centralisée, mais fonctionne grâce à du partage de données en pair-à-pair et des clefs de cryptage uniques. Ce processus, énergétiquement dispendieux, est également au cœur des monnaies virtuelles, comme le Bitcoin et l’Ethereum. Le marché de l’art et les marchés financiers avancent main dans la main et avec le concours d’artistes émergents, d’artistes mondialement reconnus hors des sphères de l’art contemporain, comme David Lynch, Serj Tankian, des investisseurs et des grandes entreprises, comme Sega, Ubisoft, Warner, EA. Les NFT ne sont plus simplement la blockchain appliquée au monde des galeries virtuelles, il sont désormais promus par leurs principaux utilisateurs comme un changement de paradigme en devenir dans la consommation de l’art par le public.

Le but de cette introduction aux réalités et applications des NFT est de rendre compte de ce changement de paradigme, de continuer une réflexion démarrée par Laurence Allard sur la place des NFT dans l’art, ainsi que pour évoquer des questions de sécurité, de droit d’auteur, de décentralisation et de dérégulation des marchés : des questions épistémologiques et théoriques soulevées par cette dissémination des NFT et augmentation de leur empreinte énergétique.

Il s’agira également d’aborder le fleurissement de modalités para-légales, de vol de données, la multiplication des galeries virtuelles travaillant uniquement avec des NFT, ainsi que la prolifération paradoxale d’art lié à des NFT sur les réseaux sociaux, où l’objet est à la fois associé à un jeton possédé par un unique propriétaire, et disséminé anonymement par partage, retweet ou meme, comme n’importe quel .gif ou .jpg après un clic droit. Outre ces reconfigurations de la question des droits d’auteur et de la transmission de l’art à l’époque du tout-décentralisé, l’empreinte du token-mining ainsi que des monnaies digitales sur l’environnement sera également évoquée.

Les midis de l’intermédialité est un rendez-vous proposé par le CRIalt et destiné aux jeunes chercheuses et chercheurs (de la maîtrise au postdoctorat) désireux de faire connaître leurs travaux en lien avec l’intermédialité auprès de leurs pairs. Chaque séance se compose d’une présentation d’une vingtaine de minutes, suivie d’une discussion encadrée par une modératrice ou un modérateur invité. Il est mis en place sous la responsabilité de Rémy Besson et coordonné par Jenny Brasebin.