n° 45 (printemps 2025)
Sous la direction de :
Hélène Ibata (Université de Strasbourg)
Gwendolyne Cressman (Université de Strasbourg)
Date de soumission des propositions : 1er février 2024
Annonce des résultats de la sélection des propositions : 1er mars 2024
Soumission des textes complets aux fins d’évaluation : 1er août 2024
Publication des textes retenus par le comité de rédaction : printemps 2025
http://intermedialites.com/appel-a-contributions-no-45-reinventer-le-paysage-reinventing-landscape/
Résumé
À l’heure où le constat d’une dégradation accélérée et irréversible des milieux naturels sous l’effet de l’action humaine s’impose, menant certains à évoquer une nouvelle période géologique, l’Anthropocène (Crutzen et Stoermer, 2000), le concept de paysage traverse de multiples redéfinitions et questionnements, bien au-delà du périmètre des beaux-arts auquel il était auparavant consigné (que ce soit dans la peinture de paysage ou dans l’art des jardins). Ce qui jusqu’alors était conçu avant tout comme objet artistique est désormais compris comme une construction intellectuelle propre à l’Europe de la période moderne (Cosgrove, 1984; Descola, 2005), associée au projet expansionniste et industriel de celle-ci, dont elle serait le pan esthétique (Darcis, 2022; Charbonneau, 2002). Qui plus est, en ce début de 21e siècle, le décalage entre une telle construction et la réalité des espaces naturels semble plus prononcé que jamais. Les bouleversements écologiques de notre temps ne nous renvoient que des « paysages » abîmés, incertains. La nécessité qui persiste malgré tout de donner un sens esthétique à ces milieux dégradés par des décennies d’exploitation industrielle ou d’agriculture intensive, mais aussi d’y renouveler l’engagement social et politique, semble nous inviter à repenser le paysage, pour y reconnaître notamment « une des conditions sensibles et émotionnelles de notre existence »(Besse, 2018). Il s’agit plus précisément de réinventer le paysage : de le recréer, pour tenir compte des bouleversements écologiques récents, mais aussi de le redécouvrir, comme milieu plutôt qu’objet pictural distant, de manière à y retisser les liens entre l’humain et le reste du vivant. À cette fin sont développées de nouvelles pratiques artistiques, où se croisent création et action environnementale, et de nouvelles configurations, souvent intermédiales, que ce soit par leur exploration et leur hybridation de supports visuels non picturaux (photographie, film, son, utilisation de matériaux durables ou recyclés dans l’Art Éco, etc.), ou par la façon dont elles investissent des espaces propices au débat citoyen, hors des institutions traditionnelles de l’art (comme dans le Land Art ou les installations).
Ce numéro d’Intermédialités / Intermediality se propose d’explorer cette évolution de la pensée et de la pratique du paysage, de son « invention » à la période moderne à ses réinventions successives, à mesure des conditions changeantes d’habitation de la planète. Il s’agit d’une part de mettre l’accent sur la dimension historique d’un paradigme qui a accompagné les transformations socio-économiques de l’Europe moderne, a été en partie instrumentalisé par elles, et dont la pertinence semble remise en question par les défis environnementaux contemporains. D’autre part, on interrogera la façon dont cette évolution diachronique va de pair avec des fluctuations de cette construction de la nature d’un médium à l’autre. En effet, si le tableau s’impose comme le véhicule par excellence du paysage du début du 16e siècle à la fin du 19e siècle, suggérant des parallèles entre la construction de l’espace par la vue — notamment par le biais de la perspective linéaire — et les processus d’acquisition de la propriété terrienne spécifique de la période (Cosgrove, 1984), d’autres médias contribuent à la construction, à l’évolution, puis à la potentielle déconstruction du paradigme. Les « paysages » sonores du Moyen Âge, les imaginaires paysagers dans les pratiques illustratives de la première modernité, le développement de l’art des jardins au 18e siècle, le Land Art dans les années 1970, l’utilisation artistique actuelle de sites contestés, instables et en transition, tels que les jachères urbaines, le ou les « Tiers paysages » (Clément, 2004) et les zones frontalières, sont autant de procédés qui dialoguent avec l’idée de paysage, remettent en question la primauté du paysage pictural, et permettent des glissements de paradigme en fonction de rapports changeants au monde naturel. Depuis les années 1970 en particulier, la multiplication des expérimentations reflète aussi bien le souhait de définir un rapport à la nature autrement que sous le mode de l’appropriation (visuelle ou territoriale) qu’une volonté de témoigner de la diversité des expériences, qu’il s’agisse de donner une nouvelle visibilité à ceux que les conquêtes coloniales ont dépossédés, ou de permettre l’expression du non-humain.
« Réinventer (le paysage) » ambitionne donc de faire dialoguer des spécialistes de différentes disciplines (culture visuelle, philosophie, géographie, histoire, études littéraires) ainsi que des artistes, afin de réfléchir aux mutations de la pensée du paysage, à sa signification actuelle dans un monde anthropisé, mais aussi à la possibilité de renouveler l’appréciation esthétique de la nature de façon à composer avec elle et les vivants qui l’habitent (humains ou non-humains), de façon respectueuse. Il cherchera plus particulièrement à tenir compte de la diversité des médias qui construisent et représentent la nature, mais aussi de la variété culturelle et historique du rapport esthétique à celle-ci, afin d’explorer les multiples moyens qui permettent de réinventer, voire ré-enchanter, notre lien à la terre et au vivant.
Bibliographie
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Intermédialités est une revue scientifique semestrielle qui publie en français et en anglais des articles inédits évalués de façon anonyme par des pairs.
Les propositions d’articles (350 à 400 mots) doivent être acheminées avant le 1er février 2024 aux adresses suivantes : helene.ibata@unistra.fr et cressman@unistra.fr. En plus du résumé de la proposition, une bibliographie préliminaire (cinq livres ou articles) ainsi qu’une brève notice biographique (programme d’études, champs d’intérêt, 5 à 10 lignes) sont demandées. Les propositions seront évaluées par le comité scientifique de la revue, en fonction de l’originalité de l’approche et de la pertinence de la problématique.
Les articles définitifs seront à soumettre 1er août 2024. Ils devront avoisiner les 6 000 mots (40 000 caractères, espaces compris) et pourront comporter des illustrations (sonores, visuelles, fixes ou animées), dont l’auteur·e de l’article aura pris soin de demander les droits de publication.
Il est demandé aux auteur·e·s d’adopter les normes du protocole de rédaction de la revue, disponible à l’adresse suivante :
[FR] http://cri.histart.umontreal.ca/cri/fr/intermedialites/protocole-de-redaction.pdf
[EN] http://cri.histart.umontreal.ca/cri/fr/intermedialites/submission-guidelines.pdf
Pour de plus amples informations sur la revue, consultez les numéros accessibles en ligne sur la plateforme Érudit : www.erudit.org/fr/revues/im/